LE SUSPECT DE L'HOTEL FALCON - ITINERAIRE D'UN REVOLUTIONNAIRE ESPAGNOL
Charles Reeves - Raul Ruano Bellido
[Révolutions - Portrait]
Le 16 juin 1937, Francisco Gómez (Paco) et quatre de ses camarades des Jeunesses du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste) sont arrêtés à l’hôtel Falcón, siège de ce parti à Barcelone. Simultanément, des dizaines de militants et la majeure partie de la direction du POUM sont pris dans un vaste coup de filet organisé par les agents du Guépéou, tout-puissants en zone républicaine. Un mois après l’écrasement des « Journées de mai », cette répression marque un tournant: la guerre dévore la révolution, soumettant toute la société à sa logique. Paco et ses camarades croupissent ensuite dans des geôles clandestines puis dans les prisons de la République. En juin 1938, ils sont libérés: la machination les présentant comme des « agents franquistes » a fait long feu. Quelques mois plus tard, Paco traverse la frontière avec le flot des troupes républicaines en déroute. Après un séjour dans les ignominieux camps de concentration français, il s’évade et s’installe à Paris pour le restant de sa vie. Ouvrier d’usine, il milite d’abord dans la mouvance trotskiste puis se joint aux petits groupes – de Socialisme ou Barbarie à ICO – qui réfutent la notion d’ « État ouvrier dégénéré » pour définir le despotisme soviétique et exposent sa nature capitaliste. Quand, en mai 1968, Paco et ses collègues d’usine prennent parti pour les étudiants révolutionnaires, ils sont à nouveau catalogués comme des « éléments suspects » par les chefaillons de la CGT. Dans la narration de cet itinéraire, le protagoniste s’efface souvent derrière le mouvement de l’Histoire. En suivant son parcours, on revisite les événements à l’aune de la vie des individus, avec leurs contradictions et leurs ambiguïtés. On en retiendra que lui et ses amis, jeunes militants pris dans le tourbillon de la révolution, ont eu le courage de rompre avec le mensonge et le conformisme staliniens. Ils ont trouvé dans le POUM un cadre organisationnel atypique préservant le principe de l’auto-émancipation sociale. Ils y ont puisé une raison de vivre… et, pour beaucoup d’entre eux, de mourir.
L'insomniaque (2011) 128 p. 13 x 21 cm