HOMMAGE A LA CATALOGNE
George Orwell
[Révolutions - Espagne - 1936]
Un récit-reportage (écrit en 1938) par le futur auteur de 1984 sur la guerre civile / revolution espagnole. Il prit part à la lutte antifasciste dans les rangs du POUM, milice trotskistes bientôt annihilé par les communistes staliniens. De ces événements devaient surgir sa hantise du totalitarisme, traits marquants de la suite de son oeuvre.
"J’étais venu en Espagne dans l’intention d’écrire quelques articles pour les journaux, mais à peine arrivé je m’engageai dans les milices, car à cette date et dans cette atmosphère il paraissait inconcevable d’agir autrement. Les anarchistes avaient toujours effectivement la main mise sur la Catalogne et la révolution battait encore son plein. Sans doute quiconque était là depuis le début devait avoir l’impression, même déjà en décembre et en janvier, que la période révolutionnaire touchait à sa fin ; mais pour qui arrivait alors directement d’Angleterre, l’aspect saisissant de Barcelone dépassait toute attente. C’était bien la première fois dans ma vie que je me trouvais dans une ville où la classe ouvrière était en selle. A peu près tous les immeubles de quelque importance avaient été saisis par les ouvriers et sur tous flottaient des drapeaux rouges ou les drapeaux rouge et noir des anarchistes ; pas un mur qui ne portât, griffonnés, le marteau et la faucille et les sigles des partis révolutionnaires ; il ne restait de presque toutes les églises que les murs et les images saintes avaient été brûlées. Ça et là on voyait des équipes d’ouvriers en train de démolir systématiquement des églises. Tout magasin, tout café portait une inscription vous informant de sa collectivisation (…). Personne ne disait plus Señor ou Don, ni même Usted ; tout le monde se tutoyait, on s’appelait « camarade » (…) Et le plus étrange de tout, c’était l’aspect de la foule. A en croire les apparences, dans cette ville les classes riches n’existaient plus. A l’exception d’un petit nombre de femmes et d’étrangers, on ne voyait plus de gens bien mis. Presque tout le monde portait des vêtements de prolétaires, ou une salopette bleue, ou quelque variante de l’uniforme de la milice. Tout cela était étrange et émouvant. Une bonne part m’en demeurait incompréhensible et même, en un sens, ne me plaisait pas ; mais il y avait là un état de choses qui m’apparut sur-le-champ comme valant la peine qu’on se battît pour lui."
Ivrea (1982) 296 p. 13 x 22 cm