LES ROIS DU ROCK
[Punk Rock] Extraits du Livre de Thierry Pelletier (Libertalia 2013)
LES ROIS DU ROCK
Extrait: « On cherche dans le blizzard ce qu’on a en commun, ce qui a bien pu tous nous amener au sacerdoce rock’n’rollien, à déambuler chaque jour de notre vie, sous les sarcasmes de nos contemporains, dans nos grosses chaussures et nos dégaines d’aliens, ce qui nous pousse à dépenser autant de temps et d’énergie à élaborer nos impressionnants mais fragiles échafaudages capillaires, à nous démater avec autant d’application, à faire quotidiennement autant de kilomètres pour jouer ou entendre jouer, à dépenser notre peu d’oseille dans les répètes, les sapes, les skeuds…Une réelle passion pour la musique? La frime? Faire chier nos parents, nos semblables? Aucune réponse n’était satisfaisante à elle seule. C’est Didier finalement qui allait présenter la motion qui serait adopté à l’unanimité: nous avions tous, minots, connu l’humiliation quasi quotidienne d’être choisis parmi les tout derniers quand les copains tiraient les équipes de foot dans la cour de récré, et nous étions de surcroit bien trop timides pour adresser la parole aux filles. »
Extrait: « C’est le jour du grand jour qu’on a enfin eu avec Ludo, mon pote neuski, le plan des 25 acides à 500 francs qu’on attendait depuis si longtemps. Sur chaque buvard, une amanite tue-mouche à gros pif se fendait la poire sur fond vert, en les revendant 50 francs pièce, on allait vite devenir les rois du pétrole. Fallait qu’on les essaye tout de même, et puis ça tombait bien, j’avais le traczir à l’idée de revoir Dany, et sans avoir jamais pris d’acide, je me doutais bien que ça allait un peu me décoincer, me transformer en super zigue à la coule. On en a gobé un chacun, attendu vingt minutes, que dalle! J’en ai enquillé un deuxième, rien de plus! On se demandait si Nasser nous avait pas enflés quand il a fallu nous séparer, mon train arrivait. J’ai commencé à me sentir tout chose, tout suintant dans le wagon, et quand je me suis retrouvé sur le parvis de Montpar, là c’était devenu « La Piste aux étoiles ». Il faisait nuit, il vasait, je pataugeais béatement dans une grosse flaque quand elle est arrivée au rencard. Toute pimpante, elle a un peu masqué quand elle a vu mon état, je faisais pourtant des efforts surhumains pour conserver mon unicité, mais dès que j’essayais d’ouvrir la bouche pour lui expliquer la situation, je me mettais à jaspiner en shadock. »
Extrait: « La semaine suivante, il était looké total neuski, le drapeau français cousu sur la poche du bomber et le discours à l’avenant. Avec Titi et Manu on l’a charrié au début, on s’est bien engueulé par moments, mais c’était notre pote même s’il était très con, on était déjà pas nombreux, alors on a rien changé, on a continué à zoner ensemble au centre commercial des Sept-Mares et à se défoncer dans des locaux à poubelles. Il passait un CAP quelconque dans un LEP à Paris, métro Pasteur. Il s’était fait plein de copains là-bas, alors j’avais été y faire un tour. Tous skins, évidemment, gentiment feufas, sympas mais pas finauds. Certains prenaient du Néo-Codion, suçaient le bleu qui gratte et jetaient la partie qui défonce. (…) J’ai rapidement cessé de traîner avec les zorglhommes du XIVe, mais avec Ludo, on continuait à zoner ensemble dans notre fichue ville nouvelle, à fumer des spliffs dans le square en bas de chez lui, à rêver des keuponnes lubriques, introuvables sous nos latitudes, à échafauder des plans de deal foireux et surtout, comme tous les racaillous de la galaxie, à nous entrevanner des nuits entières. »
Extrait: « J’aurais pas dû, il était costaud le Rico. Je le voyais bien, mais fallait que j’assure devant ma meuf et mes potos, et puis ourdé comme je l’étais, il m’avait l’air tout à fait envisageable. Ça m’énervait qu’il cause à ma belle, j’étais avec elle que depuis une semaine, j’en étais encore à faire pipi tout autour. Je pouvais pas savoir qu’il se l’était tapée dans un terrain vague quinze jours avant. En plus il me gonflait avec sa boule à zéro et son bomber, à part Ludo, j’aimais pas trop les skins moi!Bon, c’est vrai, j’étais tout pareil en plus petit, mais avec une naneba, psychobilly j’étais, pas tout confondre! Mickey a bien essayé de me faire rentrer dans le rade, de m’expliquer que j’allais me faire manger, rien voulu entendre, on ne rigole pas avec l’honneur après onze mousses. J’ai donc suivi le streum jusqu’en bas de la petite ruelle. « T’es un petit faf toi! – Ca va pas, je suis trotskiste, c’est toi le faf! – Je suis redskin, on m’appelle Blackskin. » On a commencé à causer, malentendu que tout ceci, je respirais mieux, jusqu’à ce qu’il veuille qu’on échange nos bombers. J’ai tout de suite entravé la vape et chercher à calter, mais il était vif pour un gros, j’avais pas fait deux pas qu’il me balayait. »
Extrait: « Il faisait nuit place des Invalides, le terminal Air France en flammes, on se repliait dans la panique après les charges ultraviolentes des CRS. Faut dire qu’ils étaient restés bien stoïques, immobiles et bloquant l’accès à l’Assemblée Nationale, pendant les deux trois heures où on leur avait balancé tout ce qu’on pouvait. C’était somme toute naturel qu’ils expriment leur agacement une fois qu’on leur avait lâché la bride. J’avais, en cette fin d’après midi là, pu voir l’autogestion en action, c’était très beau. Des rebeus avaient dégoté des barres à mine et entrepris de défoncer le bitume. Dès les premiers pavés descellés, tout un tas de cons avait voulu se servir. On était un certain nombre à na pas être d’accord, jugeant plus judicieux d’attendre d’avoir un gros paquet de munitions pour faire la surprise aux kreuss. Aussi avions nous formé spontanément un service d’ordre autour des camarades dépaveurs pour protéger le butin de l’impatience de tous ces excités. Dans le même ordre d’esprit, lorsque le chamboule-tout avait commencé, m’étant aperçu que je visais mal, je m’étais autoaffecté à la chaîne qui passait les pavetons jusqu’aux lanceurs en première ligne.
Extrait: « Concert de psychobilly, y’a des rosbifs, les Frantic Flinstones qui jouent au Fahrenheit à Issy-les-Moules. Tout le gratin s’est filé rendez vous, des psychos évidemment, mais aussi des punks à chien, des jeunes gens à cheveux courts, les Ducky Boys et…Petit Jean. Quand je débarque dans le hall je constate que c’est tendu. De sa voix de canard, Petit-Jean joue la provoc à fond avec Rocky et ses troupes alignées derrière lui: « Je vous prends tous! » Les Ducky rigolent mais ne réagissent pas. J’essaye de me faufiler en falche, peine perdue, Petit-Jean m’a vu et m’alpague: « Eh Cochran, descends avec moi devant les Frantic, on va s’éclater! » – Oui oui je te rejoins », et je m’esbigne. C’est malin, maintenant je suis retapissé copain du grand fou, je sens sur moi les regards des piranhas qui n’ont pas osé s’attaquer au Mutant, mon dieu que leurs dents brillent! «
Thierry pelletier à ecouter aussi: http://arteradio.com/son/616245/la_branche_aux_branches